Continuer à exiger des efforts pour progresser – Rachid ZIANE

5 Mar. 2019

 

L’époque actuelle trahit un paradoxe. La réussite, quelles en soient les formes, se confronte au refus d’un nombre croissant d’individus à consentir à faire les efforts nécessaires pour y arriver. Ainsi, on voudrait progresser sans persévérer, maigrir sans faire de « sacrifices »[1] , être reconnu sans dépasser les apparences, étudier sans lire et plus généralement réussir sans faire d’effort.
A l’opposé de cet état de fait, les entraîneurs exigent des sportifs qu’ils fassent des efforts. Ils font même, de ce paramètre le principal déterminant des progrès et de son absence, son corolaire, l’échec. Alors aujourd’hui plus qu’hier, il convient de réhabiliter cette exigence, pour organiser l’engagement physique et mental des sportifs.

Apprendre à attribuer ses réussites et ses échecs à l’effort

L’idée a été proposée par Famose (1993) qui a démontré qu’à l’issue de compétitions, les sportifs qu’il a interrogés attribuent leurs réussites ou leurs échecs à quatre types de causes :

Stables : Instables :
Internes : L’apprentissage L’effort
Externes : La difficulté de la tâche La chance

Ce qui est déclaré par les sportifs n’est pas la réalité mais leurs représentations mentales ou les idées qu’ils se font des causes de leurs réussites ou de leurs échecs. Or, ces représentations sont déterminantes de l’attitude mentale des sportifs, de leur niveau d’engagement et de persévérance.

Les optimistes auraient tendance à :

  • attribuer leur réussite à des causes internes et stables (« j’ai atteint un super niveau, je suis trop fort»),
  • attribuer leurs échecs à des causes externes et instables (« je n’ai pas eu de chance»),
  • singulariser leurs échecs (« pour une fois, ça n’a pas marché»),
  • généraliser leurs réussites (« comme d’habitude, j’ai encore réussi»).

Cette attitude mentale leur permet de se convaincre de persévérer.

Les pessimistes auraient quant à eux tendance à :

  • attribuer leurs échecs à des causes internes et stables (« je suis nul»),
  • attribuer leurs réussites à des causes externes (« j’ai réussi parce que j’ai eu de la chance» ou « … parce que c’était facile ») qui ne dépendent donc pas d’eux,
  • généraliser leurs échecs,
  • singulariser leurs réussites.

Adoptant à terme une attitude dite d’ »impuissance apprise » (Famose, Op. Cit.), les pessimistes ont tendance à abandonner l’activité.
L’idée serait alors d’enseigner aux sportifs à attribuer leurs réussites et leurs échecs à la seule cause interne et instable mais contrôlable : l’effort. Il s’agit ainsi de les responsabiliser et de les engager dans un processus de persévérance, lequel augmente significativement leurs chances de réussite.

Mais de quels types d’effort s’agit-il ?

« Faire des efforts» :  une expression polysémique

Comme le signale Delignières (Op. Cit), « l’effort n’est pas un concept scientifique ».

Au sens commun, ce terme renvoie à ceux de travail, de fatigue et de volonté.

Dans le domaine de l’entraînement sportif, on trouve par exemple ce terme chez Zatsiorsky (1966) dans la méthode des efforts maximaux et la méthode des efforts répétés.

En physiologie de l’exercice physique, il est question d’efforts de vitesse, de résistance ou d’endurance et d’effort sous-maximal, maximal ou sur-maximal. En matière d’entraînement, on parle de préparation à l’effort, de tests d’effort ou encore d’épreuve d’effort. Les biomécaniciens quant à eux, modélisent la résistance de parties du corps soumis à des efforts de traction, de compression, de flexion, de torsion, de cisaillement, d’extension.

Autant de points de vue que l’on ne peut ignorer, tant ils offrent aux entraîneurs des éclairages sur les différentes acceptions de la notion d’effort.

Pour autant, l’effort physique ne peut pas être dissocié de l’effort mental qui le sous-tend.

Quels efforts peut-on légitimement exiger des sportifs ?

L’effort comprend une dimension subjective appelée effort perçu (Borg, 1962) ou sensation de pénibilité vécue. « La réalisation d’une performance […] s’inscrit généralement dans une histoire longue faite d’entraînements et d’efforts répétés à l’intensité plus ou moins prononcée. Cette discipline à laquelle s’astreignent de nombreux sportifs s’apparente à une forme de violence sur soiElle s’objective entre autres dans des ressentis corporels souvent douloureux […] » Knobé (2008). C’est cette dimension qui doit être prise en compte dans ce qu’elle a de singulier chez chaque sportif.

Bien qu’en décalage avec l’exigence de masochisme, implicite dans le discours de nombreux entraîneurs, nous pensons qu’il est légitime d’exiger de la persévérance, mais sans que la sensation de pénibilité prenne le dessus sur celle de contrôle de l’action.

En pratique et paradoxalement, le sportif doit pouvoir prendre en compte ses ressentis pour ajuster chaque répétition, indispensable à l’automatisation de la gestuelle technique et au développement de la condition physique. Cette attention portée sur les ressentis (appuis, posture, tensions musculaires, relâchement, vitesse, respiration), rend bien plus efficace l’apprentissage que la répétition mécanique sans concentration que nous appelons « faire de l’abattage » (vs. Contrôler le geste).

Pour réussir, il faut automatiser, donc répéter, mais répéter intelligemment, c’est-à-dire en ajustant chaque « tentative » à partir des ressentis.

Nous sommes ainsi partisans d’une exigence d’implication dans la durée, d’énergie consacrée à la tâche, assortie d’une exigence de méthode et d’attention. Il est donc, de notre point de vue, légitime d’exiger des efforts de concentration.

Par ailleurs, l’injonction « faites des efforts » reste creuse. En effet, elle ne précise pas ce sur quoi doivent porter ces efforts et ni comment s’y prendre pour réussir. Elle n’est porteuse d’aucune explication et a donc une portée pédagogique faible.

Une autre conception de l’effort pour l’entraîneur

Nous considérons que l’entraîneur doit être un pourvoyeur de réussite sur toutes les échelles de temps, de la répétition du geste à la carrière sportive. Mais la réussite dépend aussi des efforts que le sportif consent à faire. L’entraîneur ne fait en définitive qu’aménager les conditions d’émergence de ces réussites et guider le sportif.

A court terme, c’est permettre au sportif de prendre du plaisir à pratiquer, de mesurer ses progrès, de réussir, d’expérimenter différentes techniques, de se confronter à des adversaires et des environnements variés.

A moyen terme, c’est l’aider à donner du sens à son engagement, à mettre en évidence des progrès avérés et ainsi entretenir la motivation.

A long terme, c’est aider le sportif à choisir, en l’aidant à définir des objectifs et des sous objectifs, à planifier les étapes de son projet.

Conclusion

« La tradition occidentale a souvent identifié l’effort à la volonté » (Carfantan, 2002).

Idée profondément inscrite dans l’inconscient collectif, il est de coutume de dire que « la volonté [qui serait indispensable au dépassement de soi] ne s’éprouve que dans l’effort ». Ainsi, force est de constater que « [le concept d’effort] fréquemment utilisé sur le terrain, notamment par les entraîneurs […] est paradoxalement rarement évoqué par les scientifiques » Delignières (Op. Cit.).

Alors, peut-on encore demander aux jeunes de faire des efforts pour réussir ?

Affirmer le contraire, serait les laisser imaginer qu’il est possible de réussir sans faire d’efforts. Il s’agirait d’un discours aussi mensonger qu’irresponsable, les incitant à attribuer leurs échecs à des causes externes : l’entraîneur, l’arbitrage, la tricherie adversaire ou encore leurs professeurs, les politiciens, la conjoncture, la (mal)chance… Une conception d’autant plus irresponsable qu’il s’agit de former les générations futures.

A l’inverse, nous prônons l’idée que la réussite dépend du temps, de l’énergie et de la méthode que l’on mobilise. L’équation réunissant ces trois variables peut être résumée en un slogan : L’effort c’est être capable de persévérer pour atteindre un projet personnel, à la fois ambitieux et humaniste.